• Camus@jlai.luOP
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    1 year ago

    Une partie des 40 000 Français attendus aux Journées mondiales de la jeunesse arrivent mercredi à Lisbonne, où se tiendra la 37ᵉ édition à partir du 2 août. Parmi eux, une majorité défendent une conception traditionaliste de la religion.

    Ils arrivent par groupes de plusieurs dizaines et se déversent sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Chartres. En ce 29 mai, fourbus, les joues rougies par le soleil ardent qui a dardé ses rayons sur leurs visages tout au long de leur marche, les jeunes, qui ont participé au pèlerinage organisé par l’association Notre-Dame de Chrétienté, s’assoient où ils peuvent.

    Ils sont 16 000 à avoir cheminé, trois jours durant et sur cent kilomètres, entre l’église Saint-Sulpice à Paris et la cathédrale de Chartres. A l’arrivée, tout le monde n’aura pas sa place à l’intérieur de l’édifice pour assister à la messe en latin, point d’orgue de ce pèlerinage traditionnel qui rassemble au-delà de son camp.

    Qu’à cela ne tienne, ceux demeurés dehors observeront ce rite, devenu le symbole d’une conception traditionaliste du catholicisme, sur des écrans géants. Surtout, ils auront droit à la procession des chapitres portant leurs drapeaux et des prêtres en soutane, autre symbole de la frange identitaire du catholicisme.

    Ceux qui le veulent se feront confesser par les clercs assis à cet effet aux quatre coins du parvis. Ici, la moyenne d’âge ne dépasse pas 20 ans. L’événement est un haut lieu de retrouvailles de la jeunesse catholique française. Comme le seront les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), du 2 au 6 août, à Lisbonne ; 40 000 Français s’y rendront, dont une partie – la plus importante – était attendue dès mercredi 26 juillet dans le but de passer du temps au sein de différents diocèses portugais. La délégation tricolore sera la troisième en nombre, après celles de l’Italie et de l’Espagne.

    Rigidité assumée dans les principes religieux et sociétaux

    Marie, elle, n’y sera pas. Du moins pas cette fois. A l’instar de beaucoup de jeunes venus marcher « pour se retrouver » entre Paris et Chartres en cette fin de mai, la lycéenne de 18 ans apprécie particulièrement la messe en latin. « J’ai plus de mal avec la messe normale, la messe traditionnelle est belle, elle est plus verticale, le prêtre est tourné vers Dieu plutôt que vers nous et le latin assure une solennité et une gravité que le français ne permet pas », affirme la jeune fille. Pour elle, au-delà du simple rite, il s’agit aussi d’un symbole de « valeurs traditionnelles » avec lesquelles elle se retrouve : une certaine conception classique de la famille, de la morale sexuelle et de la société dans son ensemble avec une opposition personnelle assumée à l’avortement et au mariage homosexuel.

    Un système de valeurs conservatrices que Théophile, 19 ans, venu de Rouen partage en grande partie. Pour lui, comme pour un grand nombre de jeunes catholiques, « la quête de sens et de repères » passe par une certaine rigidité assumée dans les principes religieux et sociétaux. « Aujourd’hui, dit-il, le monde va à toute allure et ne cesse d’évoluer avec une hypersexualisation des rapports, et une société obsédée par la consommation. Ça donne envie de se poser et de réfléchir aux valeurs qui sont les nôtres et qui ne sont pas forcément celles que tout le monde partage aujourd’hui. »

    Comme Théophile et Marie, les jeunes catholiques observants sont nombreux à se situer plutôt du côté conservateur, comme le démontre un sondage réalisé pour La Croix en mai. Celui-ci visait uniquement ceux qui devaient se rendre aux JMJ, et qui en ont donc les moyens. Mais il n’empêche, de l’avis de nombreux chercheurs, les populations se recoupent et les participants aux JMJ sont à bien des égards représentatifs. Selon le sociologue Yann Raison du Cleuziou, spécialiste du catholicisme contemporain, et en grande partie auteur de l’enquête, le phénomène s’explique d’abord par une meilleure transmission de la religion dans les milieux conservateurs.

    Dans une société sécularisée comme l’est la France, la foi ne se transmet plus automatiquement de parents à enfants. « On a une jeunesse plus conservatrice car ce sont les plus conservateurs qui ont mieux transmis au sein des familles », avance le spécialiste. C’est d’ailleurs aussi le cas pour les autres religions. La tendance est, selon lui, « structurelle » : « Le fait que le catholicisme se recompose sur les tendances les plus conservatrices en son sein est un fait social durable. »

    « Une génération de décrochés » attachés à leur foi

    Une deuxième clé de lecture tient en ce que cette jeunesse, évoluant dans un monde sécularisé, se vit comme minoritaire et se comporte en conséquence. « Les jeunes assument leur statut minoritaire, explique ainsi M. Raison du Cleuziou, car ils estiment qu’ils doivent peser pour défendre leurs intérêts, et pour cela qu’il est tout à fait normal pour eux de défendre la différence avec les valeurs dominantes de la société. » Là où, poursuit le chercheur, leurs aînés, qui ont connu une expérience majoritaire – avec une société plus systématiquement catholique et des baptêmes plus nombreux – cherchent plutôt le consensus avec les valeurs dominantes qui ne cessent d’évoluer.

    « Les jeunes vivent dans un univers qui représente plus de défi dans la transmission et le vécu de la foi », analyse le père Vincent Breynaert, directeur du service national pour l’évangélisation des jeunes à la Conférence des évêques de France. Le clerc estime qu’« il faut être attentifs à cette quête de repères sans jamais la juger ». Lui voit en cette jeunesse « une génération de décrochés » attachés à leur foi après « deux générations de décrocheurs » qui ne l’ont pas nécessairement transmise.

    A Chartres, Alix, 31 ans, le rappelle : elle fait « tous les jours le choix » de sa foi, contrairement aux membres de la génération de ses parents. Foi dont elle dit devoir se justifier en permanence, auprès d’autres jeunes de son âge, qui, dit-elle, ne comprennent pas son positionnement. Comme les autres, elle estime que c’est « une perte généralisée des repères et des règles » qui a vidé les bancs de l’Eglise.

    Comme d’autres aussi, Alix a un rapport très ambigu au pape François, dont elle ne comprend pas toutes les prises de position, notamment à l’égard des migrants. « J’ai parfois l’impression qu’il ne s’intéresse pas à nous, jeunesse française, ou qu’il nous délaisse », juge-t-elle. « Finalement, la génération François, ce sont les plus minoritaires au sein des jeunes, leur combat est orienté notamment vers les questions d’écologie », explique Yann Raison du Cleuziou. Le chercheur insiste cependant : différents courants existent au sein de cette jeunesse contrastée et nuancée, même s’ils fonctionnent en silos et ne se croisent pas. A entendre évêques et prêtres, les jeunes conservateurs ne sont pas les seuls qu’ils côtoient dans leurs paroisses.

    Une jeunesse qui fonctionne en « silos »

    Jeune comique très populaire, anciennement musulman converti au catholicisme, Mehdi Djaadi estime rencontrer un spectre très large de jeunes croyants lors de ses spectacles. Lui aussi a observé une jeunesse qui fonctionne en « silos » parallèles. Mais il voit tout de même, en guise de dénominateur commun, « l’espérance, et l’envie d’avoir un monde meilleur, notamment à l’égard de la paix et de l’écologie ». Lui comprend « une jeunesse qu’il ne faut pas rejeter, qui a besoin de repères et de traditions face à un monde qu’elle juge finissant », mais appelle à ne pas oublier « les autres jeunes cathos » : jeunes des quartiers populaires, Antillais, ou ceux qui ont des origines africaines.

    Victoria, 35 ans, soit la limite d’âge pour participer aux JMJ, est ravie. Partie au Portugal dès le 26 juillet, elle doit passer une semaine dans le diocèse de Porto. Elle s’inquiète d’une planète suffocante et d’une Eglise qui ne donne « pas assez de place aux femmes » ou encore au « dialogue et à la démocratie dans les prises de décision ».

    Autant de sujets qui devraient être mis au menu de la grande assemblée synodale programmée pour le mois d’octobre de cette année par le pape François, dont Victoria espère apercevoir le visage aux JMJ.