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Cake day: August 30th, 2023

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  • Sa garde à vue va apporter quelques bribes d’éclaircissement sur les raisons de sa dérive. Elle évoque notamment des agressions sexuelles commises deux ans plus tôt par un voisin de palier, à la suite desquels elle aurait commencé à regarder des vidéos gore. Un épisode qui fait écho au plan de son immeuble retrouvé griffonné dans son cahier et au fait qu’elle avait évoqué des « voisins » comme cibles potentielles de son passage à l’acte. Parmi les documents qu’elle a consultés sur Internet, l’un s’intitule « Ai-je été violée ? ». Deux autres de ses lectures ressemblent à des appels à l’aide : « Aider un enfant ou un adolescent qui s’automutile » et « Les auteurs de fusillades dans les écoles : les signes d’alerte ».

    Musulmane « non pratiquante », précise-t-elle aux enquêteurs, Louna dit s’être rapprochée du djihadisme et du nazisme afin de satisfaire ses obsessions macabres dans une sorte de contre-violence cathartique : « Je me suis intéressée à ces deux idéologies uniquement pour justifier ma fascination pour la mort violente. Je ne croyais vraiment ni en l’une ni en l’autre. » Au fil de son errance, elle s’est d’ailleurs inscrite à des groupes de discussions qui n’avaient plus grand-chose de politique : il y était question de tueurs en série et de fusillades en milieu scolaire. C’est ainsi qu’elle a fait la connaissance de deux autres acteurs de ce dossier : Raphaël et Ugo.

    Raphaël et les tueries scolaires

    C’est durant le confinement lié à l’épidémie de Covid-19, au printemps 2020, que les trois adolescents ont brisé leur infinie solitude en discutant sur des forums avec d’autres jeunes aussi perdus qu’eux. Ils se sont rencontrés sur True Crime Community, une communauté d’internautes passionnés par les grands criminels et les tueries scolaires.

    Le plus jeune du trio, Raphaël, 16 ans, habite une petite commune du Haut-Rhin. En échec scolaire, isolé socialement et mal dans sa peau, il passe le plus clair de son temps à jouer à des jeux de guerre enfermé dans sa chambre. Sur True Crime Community, il a enfin rencontré des jeunes qui lui ressemblent et s’est découvert une passion pour les « tueurs et les cannibales » susceptible de donner corps à sa rage. Sa propre mère le décrit comme une « bombe à retardement », même si elle le juge trop introverti pour violenter autrui.

    Il a raconté aux enquêteurs le bénéfice narcissique tiré de cette appétence partagée pour la violence : « C’est un chemin qui s’est ouvert à moi une fois que j’ai fréquenté ce groupe (…) J’aime cette violence », a-t-il déclaré, expliquant qu’il se sentait « comme un dieu » lorsqu’il gravitait dans ce milieu. « Pendant toutes ces années, j’ai été embêté, humilié, écrit-il dans une note retrouvée sur son téléphone. Je prendrai ma revanche sur l’humanité et sur vous tous. (…) Vous m’avez privé d’une vie heureuse. En retour, je vais vous priver… de la vie. »

    Sa dérive l’a conduit, comme Louna, à intégrer un autre groupe de discussion sur Telegram, Atomwaffen Command, émanation du groupuscule néonazi américain Atomwaffen Division, qui promeut l’accélérationnisme, une théorie visant à précipiter la société dans une guerre raciale pour faire émerger un ethno-Etat blanc. Emportée par son enthousiasme, Louna avait même réussi à choquer certains de ses membres en postant une photo de la tête décapitée de Samuel Paty, son image favorite : comme il arrive souvent lorsqu’un individu détonne dans un groupe d’adolescents radicalisés, ces derniers l’avaient en retour soupçonnée d’être un agent du Mossad.

    Au fil de leurs échanges, Louna confie à Raphaël qu’un voisin l’a « touchée », il lui dit avoir été victime de harcèlement scolaire. Elle se revendique de l’EI, lui du néonazisme : tous deux se rejoignent dans leur haine des juifs, partagent des vidéos ultraviolentes et évoquent leur désir de « vengeance ». Elle lui parle de ses projets d’attentat, lui s’ouvre d’un projet de tuerie scolaire qu’il envisage de commettre avec Ugo, membre également d’Atomwaffen Command. L’attaque, dans laquelle les deux garçons projettent de mourir, est prévue pour le 20 avril 2022, date anniversaire de la tuerie de Columbine et de la naissance d’Hitler.

    Ugo, le « psychopathe »

    Ugo, un Normand de 19 ans, se décrit lui-même comme un « psychopathe ». Lui aussi a discuté de ses projets mortifères avec Louna, qui lui a envoyé une recette d’explosifs. Malgré leurs divergences politiques, le jeune homme ne cache pas une certaine affection pour l’apprentie kamikaze : « Elle voulait que je devienne djihadiste. J’ai de l’empathie pour elle. Elle est comme Raphaël et moi, avec peu d’amis et victime de harcèlement, a-t-il confié en garde à vue. Elle hésitait avec le nazisme mais elle était plus attirée par Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]. »

    Ugo, lui, n’est pas djihadiste. Dans sa chambre, les enquêteurs ont retrouvé dix-sept couteaux portant des inscriptions nazies, des livres sur le criminel américain Charles Manson et sur Adolf Hitler. Dyslexique depuis le primaire, il dit avoir été victime de harcèlement scolaire et s’être « radicalisé » en classe de 6e, en commençant par l’islam radical avant de verser dans le nazisme. Hitler lui aurait « ouvert les yeux » et « tendu la main » alors qu’il sombrait psychiquement. Mais selon d’anciens camarades de classe, si Ugo a eu des problèmes à l’école, c’est avant tout parce qu’il y tenait des propos suprémacistes.

    Comme Louna, Ugo a couché ses idées noires par écrit. Il a rempli pas moins de vingt cahiers de ses délires morbides. Il y évoque ses pensées suicidaires et une agression sexuelle qu’il aurait subie à 9 ans de la part d’un garçon du même âge. Dans un de ces carnets, intitulé « Mein kampf III », il dit entendre des voix qui lui ordonnent de tuer : « J’ai différentes personnes dans ma tête : un croyant, un tueur (moi un nazi), un fou, un gamin immature. »

    L’expert psychiatre qui l’a rencontré évoque son « sentiment constant de frustration et d’infériorité », un « trouble du registre paranoïaque » à l’origine d’une altération de son discernement et juge « indispensable » une injonction de soins psychiatriques. Le jeune homme est d’ailleurs relativement lucide sur le caractère hybride de sa colère : « C’est personnel et aussi politique, écrit-il dans un carnet. Je tue pour le nazisme et par vengeance. »

    « On va être sur Google »

    Avec Raphaël, Ugo dit avoir découvert un « frère d’arme », « un mot plus fort qu’ami », précise-t-il aux enquêteurs. Outre leur passion pour les armes et le nazisme, les deux adolescents partagent une même frustration affective qui les a conduits à se rapprocher d’une autre mouvance radicale, la sous-culture Incel (pour involuntary celibate, « célibataires involontaires »), qui véhicule une haine viscérale des femmes.

    Mais Ugo et Raphaël ont surtout un projet commun censé matérialiser leur colère, qu’ils appellent leur « œuvre » : une tuerie scolaire. Ugo écrit à son jeune ami : « J’ai au moins dix personnes à tuer dans mon lycée, puis je m’attaque à une mosquée. » Emportés par leurs fantasmes, les deux garçons espèrent passer à la postérité : « On va être sur Google, la une des journaux, génial », écrit Raphaël. « Nos visages sur Internet, des documentaires, répond Ugo. Nous sommes des dieux du chaos et de la vengeance. »

    Ce sentiment de toute-puissance, Ugo le met souvent en scène. En l’espace de cinq mois, il a envoyé à Raphaël pas moins de treize vidéos de revendication de leur « œuvre » à venir, sur lesquelles il pose, muni de différentes armes : « Je vais tuer beaucoup de personnes (…) Depuis des années, des élèves sont victimes de harcèlement (…) Quand est-ce que l’Etat va faire quelque chose ? (…) Les racailles dans leur cité, on leur donne des aides sociales, ils violent les femmes, ils harcèlent les enfants dans les écoles. (…) Bah je vais purger ! (…) Y en a comme ça qui m’ont harcelé au collège, ils vont en prendre plein la gueule ! Je vais leur éclater le crâne avec un marteau et les égorger. » Devant les enquêteurs, il reconnaît : « Lorsque je faisais une vidéo, je me faisais peur moi-même. Je ne savais pas si c’était réel. »

    Une « adhésion ancrées à des idéologies radicales » Ces quatre adolescents en perdition étaient-ils mus par un désir de vengeance ou par leur conviction idéologique ? Louna est-elle djihadiste ou nazie ? Ugo et Raphaël fantasmaient-ils une tuerie scolaire motivée par leur sentiment de rejet ou un attentat suprémaciste ?

    Le Parquet national antiterroriste a considéré que leur profil et leurs agissements étaient suffisamment inquiétants pour constituer une « association de malfaiteurs terroriste ». « Si les ressorts de ces projets mortifères mêlaient mal-être et idées suicidaires, les mis en examen faisaient toutefois preuve d’une singulière détermination, de préparations intenses de leurs projets violents et fantasmaient le retentissement de leurs actions futures, dans le cadre d’adhésions ancrées à des idéologies radicales violentes, djihadiste et d’ultradroite », résument les magistrats.

    Ils demandent donc que Takeshi, Raphaël et Louna, mineurs au moment des faits, soient jugés devant le tribunal pour enfants. Si les juges d’instruction suivent ce réquisitoire, Louna pourrait être de nouveau jugée, aux côtés d’Ugo cette fois, devant le tribunal correctionnel pour les faits commis entre le jour de ses 18 ans et son interpellation, un mois plus tard.